ZZ TOP LA LEGENDE DU BLUES-ROCK
Le soleil cognait dur sur cette portion de route désolée. Jeff attendait déjà depuis pas mal de temps devant le poteau d’arrêt de bus. Il venait de toucher sa paye et ses poches débordaient de petite monnaie, plus facile à écouler pour s’envoyer des verres à répétition ou écouter ses airs favoris sur le juke-box du vieux Sam.
Jeff avait déjà bien planifié son vendredi soir dans sa tête.
Oui, c’est ça qu’il allait faire. Après une semaine passée à travailler comme un forçat, il allait se taper des bières bien fraîches comme s’il en pleuvait et se faire péter les tympans à coup de rock et de blues. Et puis, s’il avait encore assez de pognon, il traverserait la voie ferrée et irait rendre une petite visite à Wanda Tucker, toujours accueillante avec les mecs en mal d’affection.
Seulement, pour ça, il fallait que ce bon sang d’autocar finisse par se pointer.
Jeff fut tiré de sa rêverie par un son étrange qui se répercutait dans le lointain.
Le bruit enfla soudain et Jeff sentit ses cheveux se dresser d’effroi sous son Stetson fatigué. On aurait dit un ricanement diabolique mêlé à un hurlement de moteur. Un nuage de poussière balaya la route et elle apparut.
Elle était d’une beauté sans pareil mais son allure inquiétante indiquait qu’elle sortait tout droit des entrailles de l’enfer. Sa carrosserie rouge vif et ses chromes rutilants luisaient sous le soleil tandis que son pot d’échappement crachait rageusement des flammes incandescentes. Son moteur tournait à plein régime sur le rythme binaire d’une batterie hallucinée. Ses vitres teintées ne laissaient rien voir du conducteur.
Jeff fit un signe de la main. La voiture stoppa net dans un crissement de pneus.
On peut bien dire ou faire ce que l’on veut, ZZ Top nous ramènera toujours au Texas.
Au Texas et à son imagerie traditionnelle. Les chapeaux de cowboy (Stetson, Ten Gallons), les bottes pointues, les boucles de ceintures larges comme des assiettes et les flingues. Les samedis soirs arrosés à l’alcool de grain et à la bière mexicaine, les virées en bagnoles dans le désert, les horizons s’étendant à perte de vue et les vaches à longues cornes (Longhorns).
Au Texas et à sa musique. Le rock, le blues et la country. Mais aussi le jazz, la musique cajun et latino (la Louisiane et le Mexique ne sont pas loin). Et tous les grands artistes issus du Lone Star State : T Bone Walker, Otis Rush, Freddie King, Johnny Winter, Janis Joplin, Stevie Ray Vaughan, Point Blank, Waylon Jennings, The Fabulous Thunderbirds. Et beaucoup d’autres encore.
Grâce à sa ténacité et à son talent, ZZ Top a rejoint cette grande famille musicale, décrochant au passage le record de la formation la plus stable puisque son line-up est demeuré inchangé depuis près de… quarante huit ans.
Des bars enfumés des faubourgs de Houston à la renommée mondiale, le parcours a été long et difficile mais couronné de succès. Ces « trois mêmes musiciens qui jouent les trois mêmes accords » (selon leurs propres dires) ont secoué la Terre à coups de riffs incendiaires et de rythmiques plombées.
Passés du statut de défenseurs d’un blues-rock électrique râpeux et sans concessions (dans les seventies) à celui de stars internationales (dans les années 80), nos trois gaillards semblent avoir relâché leur inspiration discographique depuis une bonne vingtaine d’années tout en restant fidèle à leur réputation de « bêtes de scène » en concert. Et la foule continue de les respecter et de les adorer avec dévotion.
Comment expliquer un tel phénomène ? Comment percer le mystère de ce « power trio » incomparable, inimitable et inégalé ?
Bien sûr, on peut trouver quelques pistes dans la presse spécialisée, ZZ Top ayant fait partie à un moment des groupes les plus interviewés de la planète.
Cependant, il faut prendre ces informations avec prudence car nos trois compères manient l’humour texan avec une redoutable efficacité.
Cet humour particulier consiste à débiter des conneries monumentales, sur le ton le plus sérieux qui soit, et à voir si l’auditoire avale ça tout cru sans broncher.
Si c’est le cas, mission accomplie et rigolade garantie avec maintes tournées de bières en évoquant le bon tour qui a été joué.
Compte tenu de tout ça, écrire un article de fond sur ZZ Top se révèle une tâche relativement compliquée.
Mais ne vous inquiétez pas, on va quand même essayer.
UN PEU D’HISTOIRE
Même si les fans n’ignorent rien du passé de l’infernal trio, un petit rappel ne peut pas faire de mal pour mieux comprendre son parcours.
Quand on évoque le nom de ZZ Top, on pense d’abord à ce fabuleux son de guitare. Alors, autant commencer par Billy Frederick Gibbons qui voit le jour le 16 décembre 1949 dans la banlieue de Houston. Les Bonnes Fées de la Musique ont déjà béni le foyer Gibbons car le père, Fred, possède une solide formation musicale. New-yorkais d’origine, il s’établit au Texas dans les années trente. Il travaille quelque temps à Hollywood comme arrangeur de musiques de films puis devient le chef de l’orchestre symphonique de Houston. Ayant gardé des contacts dans le milieu du cinéma, il est souvent invité à des fêtes d’anniversaire d’acteurs et de personnalités du septième art. C’est ainsi que le petit Billy fera la connaissance d’un dénommé… Humphrey Bogart.
La musique classique qui berce la famille Gibbons ne passionne guère le jeune Billy qui préfère écouter des stations de radio spécialisées dans le blues (qualifiées à l’époque de « radios noires »). En même temps, il découvre qu’en poussant à fond le volume du poste à tube, il peut obtenir une délicieuse distorsion, un effet acoustique qui l’intéresse déjà énormément.
Mais une étape décisive est franchie quand la fille de la bonne de la Maison Gibbons lui fait écouter un disque de Little Richard. Comme si cela ne suffisait pas, elle l’emmène le voir en concert à Houston. Le virus du Rock contamine immédiatement Billy qui ne s’en remettra jamais.
Juste après son treizième anniversaire, à Noël, il reçoit en cadeau une guitare Gibson Melody Maker et un ampli Fender Champ. Il s’enferme dans sa chambre et, le soir venu, il peut jouer sans problème l’intro de « What’d I say » de Ray Charles et quelques rythmiques du bluesman Jimmy Reed.
Billy est fin prêt pour la grande aventure du Rock’n’Roll.
Il se fait les dents (et les doigts) dans différents groupes de lycée comme les Saints (qui reprennent des vieux standards du blues) ou les Coachmen (spécialisés dans la soul music). Mais un courant psychédélique vient frapper le Texas de plein fouet et une foule de jeunes combos s’engouffre dans cette brèche avec, en tête, les 13th Floor Elevators du chanteur déjanté Roky Ericson d’Austin. En 1967, séduit par ce mouvement novateur, Billy persuade les Coachmen de changer d’orientation musicale et de nom. Rebaptisé The Moving Sidewalks (littéralement, les « Trottoirs qui bougent »), le groupe va répéter inlassablement dans le garage de Papa Gibbons et finir par secouer la région de Houston avec un hit local, « 99th floor », composé par Billy en cours de maths. Cette petite pépite de rock psyché, qui s’inspire largement du travail des Elevators tout en leur rendant en même temps hommage, laisse déjà filtrer le jeu particulier du jeune guitariste.
Les deux années suivantes (1968 et 1969) sont riches en événements pour les Sidewalks. Portés par le succès de « 99th floor », ils tournent intensivement et ouvrent pour des grosses vedettes comme Janis Joplin ou Ten Years After. Ils enregistrent également un album (« Flash ») et accompagnent John Mayall dans sa tournée américaine en solo.
Durant cette période, Billy Gibbons va faire deux rencontres décisives : Bill Ham (son futur manager dont nous parlerons plus tard) et le grand Jimi Hendrix.
En raison de leur notoriété, les Moving Sidewalks sont choisis pour assurer la première partie d’Hendrix lors de son passage à Houston pour quatre concerts. C’est là que les deux gratteux auraient sympathisé et que Jimi aurait offert une Stratocaster rose à Billy. Impressionné par ce talent débutant, Jimi aurait même cité Billy lors d’une prestation au Johnny Carson Show en le qualifiant de « guitariste le plus prometteur de sa génération ». Mais entre légende et rumeurs, il semble difficile d’établir la vérité. La Stratocaster n’était peut-être pas rose, Jimi ne l’a peut-être jamais offert à Billy et il s’est peut-être simplement contenté de glisser un mot sur les Moving Sidewalks à la télévision.
Quoi qu’il en soit, une chose reste certaine : Billy Gibbons a bien côtoyé Jimi Hendrix et reçu quelques leçons du génial guitariste, notamment la manière de placer le sélecteur de micros d’une Stratocaster entre les positions initiales afin d’obtenir un son hors-phase (« out of phase »). Des décennies après, Billy continue de soutenir qu’il s’est servi de cette fameuse Strato offerte par Jimi sur au moins un morceau de chaque album de ZZ Top.
Dans le même ordre d’idée et toujours selon les « on dit », Billy aurait eu une discussion passionnée avec… Eric Clapton. De passage à Houston pour la tournée d’adieu de Cream et désireux d’étancher sa soif légendaire, « Dieu » lui-même aurait poussé la porte du club où répétaient Billy et ses potes, juste pendant leur reprise de « Crossroads ». Charmé par cette version frénétique, il aurait serré la main de Billy et les deux guitaristes auraient passé le reste de l’après-midi à s’entretenir de leur passion commune, le blues. Une bien belle histoire, évidemment invérifiable.
Malgré cette période faste, les Sidewalks n’arrivent pas à retrouver le succès connu avec « 99th floor » et ils retombent doucement au niveau de gloires locales de Houston. Une basse qui tourne (inventée par le bassiste Don Summers qui collaborera des décennies plus tard à la mise au point des fameuses guitares tournantes à fourrure de ZZ Top) et une version psychédélique du « I wanna hold your hand » des Beatles ne vont pas changer la donne. Près de sombrer dans l’indifférence générale, le groupe végète.
Comme si cela ne suffisait pas, la menace d’un billet gratuit pour le Vietnam plane sur la jeunesse de l’époque. Billy esquive le coup en s’inscrivant à l’université dans la section Beaux Arts, imité par le batteur Dan Mitchell, tandis que le claviériste et le bassiste partent accomplir leur devoir en Asie du sud-est. Un remplaçant aux claviers est trouvé en la personne de Lanier Greig mais c’est déjà trop tard. Les Moving Sidewalks se disloquent.
Pourtant, la chance continue de sourire à Billy qui va être sollicité par Bill Ham (un chanteur malheureux reconverti en imprésario) pour mettre sur un pied un groupe de blues authentique et électrique. Suivi par Dan Mitchell et Lanier Greig, Billy Gibbons fonde ZZ Top. Dans la foulée, un 45 Tours de deux titres est gravé (« Salt lick »/ « Miller’s farm ») mais ne produit pas un grand effet.
Les choses auraient pu en rester là mais, fort heureusement, le Destin veille et Billy va croiser la route de deux mecs complètement hors normes.
Joe « Dusty » Hill, né le 19 mai 1949 à Dallas, est bercé depuis son plus jeune âge par la bonne musique qu’écoute sa maman (Elvis, Little Richard, Lightnin’ Hopkins). Á huit ans, à Noël, il reçoit une guitare en cadeau tandis que son frère aîné Rocky se voit offrir une bicyclette. Dusty déclarera plus tard : « On a fait un échange. Rocky a appris à jouer de la guitare. J’ai failli me briser le cou ».
Quand Rocky Hill atteint l’âge de monter son propre groupe, il demande à son petit frère de faire partie de l’aventure. Dusty accepte sans hésiter et se rabat sur la basse, son frangin ayant déjà recruté un guitariste et un batteur. La petite bande commence à tourner et le jeune Dusty apprend vite. Malheureusement, il est encore soumis aux obligations scolaires et ses absences répétées se font dangereusement remarquer. Sans cesse rappelé à l’ordre, il décide de suivre l’appel de la musique et quitte le collège à quatorze ans.
Servant de « backing group » à l’occasion, Rocky et Dusty font leurs classes derrière des géants comme Freddie King ou Lightnin’ Hopkins.
Après avoir rencontré un batteur du nom de Franck Beard (né le 11 juin 1949), ils décident de s’orienter vers un blues teinté de psychédélisme. Ils accompagnent d’abord une chanteuse de Liverpool, Lady Wilde, puis fondent leur propre groupe nommé American Blues. Outre le fait de se teindre les cheveux en bleu (ce qui, dans l’ambiance texane de la fin des années soixante, est très courageux ou totalement inconscient), les musiciens d’American Blues
ouvrent pour The Animals et Herman’s Hermits. Ils sortent également deux albums (« American Blues is here » et « American Blues do their thing ») qui connaîtront un succès d’estime. Mais la gloire n’est pas au rendez-vous et les musicos se séparent, chacun allant tenter séparément sa chance à Houston (la ville qui bouge).
Les choses vont passer au niveau supérieur quand Billy Gibbons, par le biais d’un ami commun, fait la connaissance de Frank Beard qui va gentiment remplacer le batteur de la première incarnation de ZZ Top. Et quand le bassiste tire sa révérence, Franck avance tout naturellement le nom de son vieux pote Dusty Hill.
Dusty connaît Billy Gibbons de réputation mais il ne l’a jamais vu sur scène. Il dira d’ailleurs dans une interview : « La première fois que j’ai entendu Billy jouer de la guitare, c’est quand j’ai joué avec lui ». Quant à Billy, il ignore que Dusty et Franck se connaissent depuis plus de cinq ans et qu’ils ont développé une étroite complicité dans leur jeu rythmique. La première répétition déclenche une véritable révélation. Dusty la décrit ainsi : « On a joué un blues en do et ça a duré trois quarts d’heure. C’était bon ! ».
Comme pour ses précédents groupes, Billy emmène ses deux nouveaux copains répéter dans le garage de son père, ce qui comporte pas mal d’avantages mais aussi quelques inconvénients. Dusty se souvient encore de Papa Gibbons, ardent défenseur de la ligne mélodique, déboulant en furie à la moindre fausse note pour engueuler copieusement ces profanateurs de l’harmonie. Compte tenu de ses compétences musicales, personne n’ose répliquer.
En cette fin d’année 1969, l’aventure est lancée et le trio ne va pas tarder à se faire un nom. Mais justement, ce nom, ça veut dire quoi ?
UN NOM MYSTÉRIEUX
Pendant des décennies, on s’est perdu en conjectures sur la signification de ZZ Top et les trois musiciens ne se sont pas gênés pour brouiller les pistes en répandant des versions toutes plus fausses les unes que les autres. Du papier à cigarettes (Zig Zag Top rolling paper) à la faute de frappe (le nom de départ aurait été 22 Top) en passant par le souhait que les albums du groupe soient classés au dernier rang dans les bacs de disques, les hypothèses ne manquent pas.
Billy Gibbons finira par lâcher le morceau (il y a juste quelques années de cela, après la fin du contrat le liant à Bill Ham). Fascinés par les patronymes des grands bluesmen de l’époque (BB King, ZZ Hill), les musiciens optent pour ZZ King. Mais ils ne sont pas satisfaits car il ne peut y avoir qu’un seul King du Blues. BB King étant au top, ils se mettent d’accord sur ZZ Top.
Selon Billy, Bill Ham leur aurait interdit de révéler l’origine du nom du groupe car il souhaitait entretenir le mystère.
En tout cas, ce nom énigmatique ne les a pas empêchés de faire du bruit.
Et quel bruit !
UN SON CARACTÉRISTIQUE
La sonorité de ZZ Top se compose de deux éléments complémentaires.
Tout d’abord, une section rythmique basse/batterie compacte au son rond, chaud et mat. Ensuite (et c’est ce qui frappe au premier abord), la guitare de Billy Gibbons, une Gibson Les Paul Sunburst de 1959 qui sonne selon lui comme « quatre pneus à plat sur une route boueuse ». Beaucoup de six-cordes passeront entre les mains de Billy au cours de sa carrière mais il restera toujours fidèle à cette guitare d’exception (fabriquée selon lui « le jour idéal avec la bonne pièce de bois, la dose correcte de peinture et le bon bobinage des micros »).
Selon la légende, la Gibson dormait sous le lit d’un fermier et Billy l’aurait eue pour quelques centaines de dollars seulement. Baptisée Pearly Gates (Les Portes du Paradis), cette guitare va donner toute sa mesure à travers un ampli Marshall 100 watts Super Lead 100 que Billy s’est procuré par l’intermédiaire d’un roadie de Jeff Beck (Billy a côtoyé le légendaire gratteux lors d’un concert d’El Becko à Houston). Satisfait de cette combinaison, il s’en achète deux autres. Pour rester sur un pied d’égalité avec son petit camarade, Dusty Hill s’équipe de trois amplis similaires, sa basse passant très bien dans ces amplis conçus pour des guitares. Au milieu de cette orgie de décibels, Franck Beard est bien obligé d’alourdir sa frappe (tout en maintenant heureusement son jeu subtil).
La recette est établie : chaleur, finesse, rugosité et volume maximum.
Pour en terminer avec le sujet, il convient de souligner le désappointement causé il y a très longtemps par la première réédition des albums du groupe en CD (en 1987). Avec la collaboration du trio lui-même, les disques d’origine ont été remixés et le son de la batterie a été modernisé avec force écho et reverb, dénaturant ainsi la sonorité initiale du Top. Cette querelle n’a plus de raison d’exister car la discographie de ZZ Top est maintenant rééditée d’après les masters originaux, étalant ainsi dans toute leur splendeur les réalisations chaudes et cruciales concoctées par le combo au cours de sa carrière.
Et cette carrière a été particulièrement riche en rebondissements.
BLUES-ROCK ÉLECTRIQUE ET FIERTÉ TEXANE (1970-1976)
Le premier show officiel du trio a lieu début février 1970 à Beaumont (la ville natale de Johnny Winter). Puis, sous la direction de Bill Ham, le groupe multiplie les concerts et les premières parties. Dans le même temps, le petit 45 Tours « Salt lick » cartonne honnêtement dans la région de Houston, provoquant l’intérêt des promoteurs locaux. Ainsi, ZZ Top est amené à participer à une tournée des légendes du blues avec Muddy Waters, Howlin’ Wolf et Lightnin’ Hopkins. Assurant le rôle de première partie, le trio est considérablement surpris en découvrant un public essentiellement noir qui s’attend à voir un groupe d’artistes noirs (effectivement, en entendant le single du Top à la radio, les promoteurs ont pensé que les musiciens étaient noirs en raison de leur style musical).
Les trois compères en retirent une grande fierté et gardent également le souvenir impérissable d’avoir côtoyé de près ces géants du blues. Franck Beard se rappelle des parties de poker d’anthologie auxquelles se livraient les légendaires bluesmen (sur un flight case de basse, avec billets et flingues de rigueur) et Billy Gibbons cite souvent le conseil que leur aurait donné le grand Muddy Waters : « Vous n’avez pas besoin d’être les meilleurs. Soyez simplement bons ! »
Bill Ham intensifie la course aux engagements et, vers la fin de l’année, il emmène ses poulains dans un studio d’enregistrement pour qu’ils accouchent de leur premier album. Il finit par décrocher un contrat de distribution avec la firme London (Decca en Angleterre), déclenchant ainsi la joie de Billy qui a toujours souhaité enregistrer pour le même label que les Rolling Stones.
Le premier disque du groupe voit donc le jour sous le titre très original de « ZZ Top’s first album » (ah, le bon sens texan !) avec la guitare de Billy sur la pochette. Le trio s’oriente de façon évidente sur la voie du heavy boogie blues et balance quelques bons titres comme « Brown sugar » (qui commence en blues traditionnel puis s’élance en blues-rock mid tempo), « (Somebody else been) shaking your tree » (avec son final à la pedal steel guitar) ou le superbe « Just got back from baby’s » qui révèle le toucher coulant et brutal de Billy Gibbons. Les trois copains composent également une ballade lente, « Old man » (dans le style sudiste des années 70), avec un solo de guitare mélodique. Le reste des morceaux tapent dans le registre d’un blues-rock rugueux au tempo médium (« Goin’ down to Mexico », « Neighbor, neighbor »).
Ce « First album » reflète déjà ce qui fera plus tard le succès de ZZ Top : une rythmique hypnotique au son rond et chaud associée à une six-cordes granuleuse à souhait. Le couple Les Paul/Marshall y est pour beaucoup. Pour la petite histoire, Dusty a joué sur une basse Danelectro Longhorn (branchée sur un ampli Marshall pour guitare), notre bassman ayant oublié sa Telecaster de 1951. Ce coup d’essai semble assez bien réussi mais, malheureusement, la presse spécialisée va descendre l’album.
Cet accueil glacial ne décourage pas nos trois musiciens qui continuent de faire ce qu’ils connaissent le mieux : tourner intensivement et balancer la sauce à chaque concert. Et même si les territoires du Nord leur sont interdits, leur renommée ne cesse d’augmenter dans tout le Texas.
Pour leur deuxième album, « Rio Grande mud » paru en 1972, les trois texans durcissent les choses en délivrant des titres plus carrés avec un son encore plus compact. « Francine » (le prénom d’une conquête de Billy) balance un maximum avec un bon riff et un solo tranchant. La slide précise et autoritaire de l’hypnotique « Just got paid » vaut aussi son pesant d’or. Tout l’amour qu’éprouve le trio pour le blues traditionnel transparaît dans « Mushmouth shoutin’ » avec Billy Gibbons à l’harmonica saturé et Pete Tickle qui vient en invité pour gratter de la guitare acoustique (il faut souligner qu’un autre musicien intervenant sur un morceau du Top est une rareté en soi). « Chevrolet » (un blues-rock taillé pour la route avec Dusty au chant) et « Bar-B-Q » (un boogie-rock nerveux) mettent en évidence tout le sens du riff de Billy.
Et puis, le groupe respecte la tradition du long slow aérien avec « Sure got cold after the rain fell » et sa guitare délicate qui annonce le futur « Blue jean blues ». On peut raisonnablement penser qu’un nombre conséquent de personnes ont dû planer ou tirer un coup en écoutant ce morceau.
Enfin, sur « Apologies to Pearly » (un instrumental boogie-rock texan burné), Billy délaisse pour la première fois sa fidèle Gibson Pearly Gates pour une Stratocaster (d’où le titre « Excuses à Pearly »). Ça chauffe !
Ce disque cartonne très honorablement. La complicité rythmique de Dusty et de Franck fait des merveilles et Billy développe son style fait de tirés de cordes et de notes en harmoniques. ZZ Top gagne en assurance.
Et le succès commence à pointer le bout de son nez ! Le single « Francine » atteint la quatre vingt et unième place au Top 100 (avec une version chantée en espagnol sur la deuxième face) et « Just got paid » doit être retiré de la set-liste des shows. En effet, chaque fois que les musiciens interprètent ce titre, les spectateurs des premiers rangs les aspergent avec de la petite monnaie. Cette pratique pouvant se révéler dangereuse, le trio décide alors de ne plus jouer ce morceau en concert (même si ces marques d’admiration rapportent au groupe une cinquantaine de dollars supplémentaires par soirée).
ZZ Top affermit sa réputation en continuant de tourner sans relâche et en partageant l’affiche avec les légendes du Rock’n’Roll Chuck Berry et Bo Diddley (le grand Bo donnera même l’une de ses guitares Gretsch Jupiter Thunderbird à Billy).
En revers de la médaille, les trois complices ne sont pas prêts d’oublier cette étrange soirée dans le bar d’un bled paumé où ils n’attirèrent… qu’un seul et unique spectateur. Ils assurèrent néanmoins le show en bons professionnels, allant même jusqu’à discuter à la pause avec le jeune homme et lui payer un coca.
1973 voit la consécration de ZZ Top. Le trio démarre l’année en beauté en ouvrant pour les Rolling Stones à Hawaï les 21 et 22 janvier. En voyant arriver trois cowboys sur scène, la foule décontenancée pense qu’il s’agit d’un groupe de « country music ». Mais les trois copains rassurent bien vite le public en l’assommant avec leur boogie-blues brûlant poussé au volume maximum et ils obtiennent même un rappel les deux soirs d’affilée (cet exploit sera rapporté dans la presse spécialisée).
Ces shows marqueront le début de l’amitié entre Billy Gibbons et Keith Richards. Quant à Dusty Hill, il n’oubliera jamais sa discussion avec Charlie Watts tout en éclusant quelques verres au comptoir.
Le printemps se révèle encore plus productif avec la sortie de « Tres hombres », un disque qui va faire date dans l’histoire du rock tant par son contenu que par l’intérieur de sa pochette (un hommage à la gastronomie tex-mex). Le trio a opté pour un titre en espagnol, affirmant ainsi sa spécificité texane et son amour du Mexique. Il a travaillé ses titres sans relâche pendant plusieurs mois dans une ancienne poste de Houston, au cœur d’un hiver rigoureux (en plus, les trois musiciens ne pouvaient commencer à répéter qu’à partir de minuit). Le boulot s’avère payant avec toute une palette de bons morceaux. L’enchaînement entre le blues-rock « Waitin’ for the bus » (avec Billy à l’harmonica) et le blues « Jesus just left Chicago » frappe méchamment l’auditeur entre les deux oreilles. Hargne, feeling et guitares dévastatrices sont au programme. Le collage des deux chansons vient en fait d’une erreur de manipulation d’un ingénieur du son qui a coupé les bandes trop juste pour faire le raccord. Mais cet effet (non désiré au départ) aura un résultat aussi surprenant qu’efficace et qui sera conservé en l’état sur les conseils de Bill Ham (que l’on surnommera plus tard le quatrième membre de ZZ Top).
Le blues-rock « Beer drinkers and hellraisers » (chanté en duo avec Dusty) ne fait pas de quartier avec un solo qui décoiffe dans l’esprit du Texas. « Move me on down the line » peut largement servir d’intro pour une bringue de campus, « Hot, blue and righteous » reprend l’ambiance de « Sure got cold after the rain fell » (en moins efficace) et « Precious and Grace » raconte les aventures autobiographiques du trio avec deux auto-stoppeuses sorties de taule. « Have you heard » (mélange de blues et de gospel) contient aussi sa part de feeling.
Mais le groupe décroche la timbale avec le fameux titre « La Grange » qui vante les mérites d’un bordel situé à deux heures de Houston. La rythmique est largement inspirée du « Boogie chillen » de John Lee Hooker mais Billy la joue sur une Fender Stratocaster maple neck de 1955, rajoutant ainsi du mordant sur l’attaque de l’intro. L’homogénéité exemplaire de la basse et de la batterie, le changement de tonalité, le break bien trouvé et les solos en harmoniques de Billy Gibbons font de « La Grange » un morceau d’anthologie.
Devant tant de talent, le public et les critiques sont bien obligés de se rendre à l’évidence. « La Grange » cartonne à mort, de même que l’album qui devient disque de platine. ZZ Top vient enfin d’obtenir la reconnaissance qu’il méritait !
« Tres hombres » apparaît donc comme le disque de la maturité et du succès. Le son a encore gagné en puissance, en chaleur et en efficacité. ZZ Top a trouvé la formule gagnante !
Au lieu de profiter du pognon qui commence à rentrer, le trio et son manager Bill Ham décident très intelligemment, au contraire, de bosser encore plus et d’intensifier le rythme des tournées. La stratégie est claire : le groupe a réussi à se faire connaître, il doit maintenant tout faire pour qu’on ne l’oublie pas. Le budget de fonctionnement du Top reste donc très tendu comme en témoigne l’anecdote suivante. Un soir, à Lubbock au Texas, le trio connaît une sacrée mésaventure. Le camion contenant leur équipement reste bloqué en route et le show est annulé. Les trois copains se voient contraints de partager une seule chambre d’hôtel puis de s’enfuir par la fenêtre au petit matin car ils n’ont pas un dollar en poche.
Mais, en dépit de ces petits déboires, ZZ Top continue d’escalader la montagne de la gloire dans le Lone Star State ainsi que dans pas mal d’états du Sud. Cependant, la partie est loin d’être gagnée dans la partie nord-est des USA.
Pendant près de deux ans, les trois musiciens parcourent les États-Unis et affichent leur fierté texane en se fringuant chez Nudie’s, la boutique habillant de nombreuses stars de la country music (Billy Gibbons porte même une superbe veste avec la carte du Texas brodée dans le dos). Ils écument les States avec des hauts (ils jouent au Texas Memorial Stadium d’Austin devant plus de 80 000 fans en délire le 4 juillet 1974) et des bas (ils rassemblent de justesse 2 000 personnes au Felt Forum de New York en 1975). De tels écarts de popularité peuvent peut-être s’expliquer par la défiance du groupe vis-à-vis de la presse. Pour ZZ Top, la renommée se fait à la texane, par le biais du bouche à oreille colporté par des spectateurs satisfaits. Le trio semble se méfier des journaux spécialisés qui déforment souvent les propos des artistes interviewés.
Mais le groupe et son manager vont finir par réaliser l’énorme potentiel de la presse en termes de publicité et se plier, de plus ou moins bonne grâce, à la coutume des interviews.
Parallèlement à ce changement d’attitude, ZZ Top sort son quatrième album au printemps 1975. Encore titré en espagnol, « Fandango » propose une face live et une face enregistrée en studio. Le concert a été capté à la Warehouse de la Nouvelle Orléans (où ZZ Top se produit souvent devant un public entièrement rallié à sa cause) et permet de se rendre compte de l’énergie que dégage le trio infernal sur scène. Plutôt que de taper dans les hits qu’il a déjà à son actif, le groupe préfère présenter des inédits comme le farouche « Thunderbird », un rock sur les chapeaux de roues avec la guitare rugissante de Billy. Á l’origine, ce titre aurait été composé par un autre combo, les Nightcaps, qui a toujours revendiqué la paternité de cette chanson reprise par ZZ Top. Mais les mecs du Top l’ont déposée légalement les premiers et en sont donc devenus propriétaires.
Dusty hurle un « Jailhouse rock » hargneux (il a toujours été un grand fan d’Elvis), suivi de près par la slide de Billy. Le trio envoie ensuite un medley mélangeant « Backdoor love affair » avec le « Mellow down easy » de Willie Dixon. Le son est énorme et les trois musiciens remplissent parfaitement l’espace sonore. Pour tous ceux qui n’ont jamais vu ZZ Top en live, c’est la révélation !
Quant à la face studio, elle ne comporte que des bons morceaux, même si l’enregistrement a eu lieu à Tyler, un « dry county » notoire (un « comté sec », soumis à une loi locale interdisant la vente d’alcool).
Sur « Nasty dogs and funky kings », Franck martèle ses fûts sans pitié, accompagné par la basse ronflante de Dusty, tandis que Billy balance un solo costaud et inspiré. « Blues jean blues » est carrément géant avec une guitare planante et pleine d’émotion. Sur ce titre, Billy a utilisé une Stratocaster maple-neck de 1959 directement branchée sur la table de mixage sur les conseils de l’ingénieur du son (le camion transportant l’équipement du trio était tombé en rade et le groupe n’avait aucun ampli à sa disposition). Un fâcheux contretemps a donc contribué à la naissance d’un son de guitare brillant, riche et profond, qui prend l’auditeur à la gorge et aux tripes.
Chanté par Dusty, « Balinese » balance bien et « Mexican blackbird » bénéficie d’un harmonica et d’une slide tranchante.
Mais nos trois gaillards ont gardé le meilleur pour la fin avec deux morceaux qui déboulent sur un tempo d’enfer. Tout d’abord, « Heard it on the X » (le « X » étant une radio locale pirate située près de la frontière mexicaine), chantée en duo par Dusty et Billy qui lamine en slide une guitare accordée en « open tuning » de sol (il rajoute même un effet wah wah sur la fin).
Ensuite, la tuerie ! « Tush », un rock dantesque avec une slide aussi affûtée qu’une tronçonneuse. Un titre composé dans l’urgence, en moins de huit minutes, lors d’un « soundcheck » juste avant un concert en Alabama. L’association d’une musique chauffée à blanc et d’un texte ambigu. En effet, ce terme désigne une partie bien caractéristique de l’anatomie féminine mais signifie également quelque chose de joli ou de chouette. Il n’en faut pas plus pour propulser « Tush » dans la galaxie très convoitée du Top 20, malgré quelques radios réticentes à diffuser une chanson aussi tendancieuse.
Là, ça y est ! L’Amérique ne peut plus ignorer ZZ Top !
Notons au passage que « Tush » fera désormais partie intégrante de la set-liste du Top tout au long de sa carrière, généralement envoyé en fin de show après l’incontournable « La Grange ». Ce morceau servira également de fond sonore à quelques séquences cinématographiques célèbres (la bagarre de bar dans « Officier et gentleman », la pêche au thon dans « En pleine tempête ») et sera repris en concert par pas mal de groupes de hard rock dans les années 80 (Motörhead s’inspirera même de la rythmique pour composer « No class »).
Pour en terminer avec « Fandango », le contenu musical a été soigné mais aussi le packaging. La pochette ressemble à une véritable affiche publicitaire du groupe et dévoile sans artifices ce à quoi ressemble ZZ Top sur scène (on peut voir les trois compères en train de jouer leur boogie diabolique dans leurs habits de cowboy de chez Nudie’s, dont la fameuse veste de Billy Gibbons avec la carte du Texas).
L’intérieur propose une photo d’un stade plein à craquer, prise lors de ce concert mémorable de juillet 1974 à Austin, avec la mention « 80 000 friends ». Bill Ham semble avoir judicieusement choisi le terme « amis » (au lieu de « spectateurs » ou « fans »), rendant ainsi ZZ Top plus proche de son public. On peut aussi découvrir les visages en gros plans des trois complices, encadrés dans des étoiles. Des têtes de mecs normaux, de musiciens simples et sympas qui en chient sur scène pour satisfaire la foule, bien loin des poses artificielles des rock-stars.
Enfin, au-dessus de ces médaillons étoilés, apparaît pour la première fois cette appellation demeurée célèbre : « That little ol’ band from Texas » (« ce bon vieux petit groupe du Texas »). Selon Billy Gibbons, cette phrase a été lancée par un journaliste chargé de les annoncer lors d’un concert à Jacksonville en Floride. Paralysé par le trac et ne sachant pas quoi dire, le gars n’aurait alors rien trouvé de mieux pour présenter le groupe. Amusés par cette anecdote, les trois copains décidèrent de conserver cette formule verbale inventée sous le coup de la panique.
Album impeccable au-dedans comme au dehors, « Fandango » va dépasser le million d’exemplaires vendus. ZZ Top a enfin réussi à forcer les portes de la réussite !
Pour la promotion de l’album, le groupe entame comme d’habitude une tournée intensive. Mais, au bout de quelques mois, les trois compères et leur manager chéri vont imaginer un concept à la fois simple, totalement novateur et gigantesque (en un mot, texan) : faire découvrir le Texas à l’Amérique entière par le biais du Worldwide Texas Tour ! Pour ce faire, il suffit seulement à ZZ Top de se produire dans des endroits assez grands pour abriter une scène dessinée aux contours de la carte du Texas (qui pèse… trente cinq tonnes) et un système de sonorisation de quarante mille watts. En plus d’un concert géant du Top, les spectateurs peuvent découvrir la faune texane et assister à la courte apparition d’une vache à longues cornes et d’un bison. Ils peuvent aussi voir de près (ou de loin, selon la taille du stade) un loup, des serpents à sonnettes (bien protégés dans des vivariums en plexiglas) et des vautours. Aux dires de Franck Beard, ces grands oiseaux se révélaient tout à fait charmants avec le personnel tant que celui-ci était en mouvement. Mais si quelqu’un s’arrêtait de bouger, les vautours s’empressaient de vérifier d’un vigoureux coup de bec si ce tas de viande immobile était vivant ou mort. Ainsi, Franck devait frapper sur sa batterie sans arrêt pour éviter de se faire bouffer.
Bien entendu, l’ASPCA (la SPA américaine) supervise le tout en s’assurant que tous ces animaux ne subissent aucun mauvais traitement.
En plus de cette faune sauvage, l’arrière de la scène est décorée de vastes paysages texans et Billy et Dusty poussent même le vice jusqu’à jouer sur des guitares en forme de carte du Texas. L’effet est saisissant ! Cette démesure musicale et visuelle va s’inscrire dans les annales du Rock en devenant l’attraction la plus populaire du moment.
Le Worldwide Texas Tour démarre le 29 mai 1976 et sillonne les USA durant six mois, ZZ Top ne jouant que tous les trois jours (le reste du temps étant consacré au démontage, au transport et au montage de la scène et des équipements). Les trois copains avaient bien prévu de porter la bonne parole du Texas au Japon, en Australie et en Europe mais ils finiront par renoncer en raison des règles draconiennes de quarantaine concernant leur ménagerie. Devant l’impossibilité d’une tournée mondiale, le Texas Tour va se prolonger jusqu’au 31 décembre 1977, générant au total la vente de plus d’un million deux cent mille tickets. Un rien ! ZZ Top va laisser un sacré souvenir au public !
En novembre 1976, histoire de bien enfoncer le clou, le trio sort le sublime « Tejas » (qui signifie Texas mais aussi « amitié » en mexicain), un disque marqué par une certaine influence country-rock comme en témoignent les titres « It’s only love » (au rythme rock rehaussé d’une pedal steel) et « She’s a heartbreaker » (avec Billy Gibbons au violon). Mais ZZ Top reste quand même fidèle à son boogie-rock texan avec un morceau costaud au titre évocateur, « Arrested for driving while blind » (« Arrêté pour conduite en état d’ivresse »).
La basse ronronnante de Dusty, la batterie entêtante de Franck et le jeu de Billy avec le bouton de volume de sa guitare font d’« El Diablo » un titre phare de l’album. Sur « Pan Am highway blues » (un rock taillé pour la route), Billy fait sonner sa slide comme une pedal steel guitar. Deux blues-rock rapides « made in ZZ » complètent le tableau : « Enjoy and get it on » et « Ten dollar man » (avec Dusty au chant et Billy qui fait ressortir des harmoniques de ses cordes surchauffées). Le jeu de guitare de Billy a encore évolué et il glisse une touche de country entre ses phrasés blues-rock.
Le disque s’achève sur le splendide instrumental « Asleep in the desert », inspiré par une mésaventure de Billy qui s’était retrouvé un jour coincé avec une copine en plein désert, son réservoir d’essence totalement vide. Ne possédant pas d’instrument acoustique, Billy a emprunté une guitare classique Martin qui traînait dans le studio pour enregistrer ce titre à l’ambiance mexicaine. Selon lui, elle aurait été laissée là par le grand Willie Nelson lui-même (une anecdote séduisante mais, avec ce diable de Billy, pas facile de démêler le vrai du faux).
« Tejas » devient rapidement disque de platine tandis que le single « Arrested for driving while blind » se comporte très honorablement au Cashbox.
Avec de solides ventes d’albums et des tournées titanesques, ZZ Top est devenu une des plus grandes attractions du rock américain.
Tout va donc pour le mieux… sauf que les trois musiciens commencent à ressentir une certaine fatigue.
SILENCE RADIO, LONGUES BARBES ET NOUVEAU CONTRAT (1978-1979)
ZZ Top arpente sans relâche la route du rock depuis 1970. Si on ajoute à cela la période Moving Sidewalks/American Blues, les trois copains tournent sans arrêt depuis onze ans et ont donc bien besoin d’une pause. Un break de trois mois est planifié qui va en fait durer… deux ans.
Franck Beard fait un peu de tourisme et se met au golf (il atteindra d’ailleurs une bonne place dans le classement mondial). Il en profite surtout pour se débarrasser de son problème de drogues (il admet lui-même qu’il était « ceinture noire de défonces en tous genres » à l’époque) en intégrant un protocole de désintoxication.
Dusty Hill disparaît au Mexique, sans doute pour y faire une bringue d’enfer.
Quant à Billy Gibbons, il joue les globe-trotters, voyage en Europe et visite Paris (et ses artistes d’avant-garde). Il se rend également au Tibet (à la recherche d’anciens instruments de musique mais aussi à la poursuite de l’Abominable Homme des Neiges) et en Jamaïque (où il rencontre Bob Marley et Peter Tosh).
Pendant que le trio se la coule douce, Bill Ham s’occupe consciencieusement de ses poulains en les faisant changer de maison de disques et signe avec Warner Bros pour la coquette somme d’un million de dollars en septembre 1978. Outre la flemme de nos trois gaillards, ceci pourrait expliquer en grande partie pourquoi la pause de ZZ Top a duré si longtemps, le groupe étant obligé d’attendre la fin de son contrat avec la firme London (qui va d’ailleurs commercialiser un « Best Of » avec un choix de titres plus ou moins judicieux).
Mais les vacances ne peuvent se prolonger éternellement et les trois amis finissent par se retrouver. Á leur grande surprise, Billy et Dusty constatent qu’ils se sont tous les deux laissé pousser la barbe par paresse de se raser. Ils décident aussitôt que ces barbouzes de compétitions deviendront leur signe distinctif. Franck va garder sa moustache car, de son propre aveu, il n’a « aucune envie que son visage ressemble au cul d’un cheval ».
Après ces retrouvailles (sans doute dignement fêtées), les trois musiciens s’empressent de s’enfermer dans un local de répétition et découvrent avec bonheur que la magie est toujours au rendez-vous. Leur rage de jouer est décuplée par ces deux années d’absence et ils vont composer un de leurs meilleurs albums.
LE DÉBUT DES ANNÉES WARNER (1979-1982)
Après trois ans de silence discographique, ZZ Top sort « Degüello », terme espagnol signifiant «pas de quartier » (c’est en fait le nom de la funèbre sonnerie de trompette jouée par l’armée mexicaine du Général Santa Ana juste avant la bataille de Fort Alamo). Et les trois Texans ne vont pas en faire, de quartier.
Le tandem Dusty/Franck sonne toujours aussi rond et chaud mais la différence notoire réside dans le changement de la sonorité de guitare de Billy Gibbons. En effet, Billy va privilégier des sons clairs et tranchants (ainsi qu’une saturation plus veloutée) et jouer sur quelques Stratocasters millésimées.
Le trio envoie deux Texas rocks fabuleux (« She loves my automobile » et « Hi-fi Mama ») avec une section de saxophones, « The Lone Wolf Horns », incarnée par les trois complices eux-mêmes. Désireux d’arranger certains de leurs morceaux avec une section rythmique cuivrée, ils se sont mis au défit d’apprendre à jouer de ces instruments et le résultat se révèle à la hauteur. Ces deux titres balancent un maximum et la guitare de Billy tape en plein dans le Texas style (on comprend mieux où le grand Stevie Ray Vaughan a été chercher certaines de ses influences).
Les ZZ Boys n’oublient pas non plus leur bon vieux blues-rock (avec « I’m bad, I’m nationwide » et « Lowdown in the street ») et s’essaient à la « pop song » au refrain mélodique avec réussite (« Esther be the one »).
Le blues tient aussi le haut du pavé avec le sublime « Fool for your stockings ». Tout est là : la voix chaude de Billy, sa guitare bluesy, la basse efficace de Dusty, les breaks et les syncopes de Franck. Un superbe morceau joué avec les tripes et qui prend au cœur. Quand ZZ Top joue le blues, il ne fait pas semblant !
Continuant dans ce registre, le groupe en profite pour donner sa version du fameux « Dust my broom » composé par Robert Johnson et popularisé par Elmore James. La slide meurtrière de Billy lacère ce blues lent et brut. La remarque cinglante de Dusty prend alors tout son sens : « Dès que tu apprends un quatrième accord, tu es en dehors du blues !».
Le jubilatoire « Cheap sunglasses » fait son petit effet et la reprise classieuse de « I thank you » (de David Porter et Isaac Hayes) déborde de feeling.
Quant à la pochette (un crâne fumant surmonté d’un drapeau blanc déchiré par des impacts de balles), elle donne à elle seule envie d’acheter le disque. Encore une fois, le merchandising a été soigné avec la plus grande attention.
ZZ Top marque donc son retour avec un excellent album qui va connaître un énorme succès commercial (à tel point que Warner Bros récupère presque immédiatement son investissement initial tandis que le single « I thank you » cartonne à la radio). La tournée triomphale qui s’ensuit prouve que le Top n’a pas sombré dans l’oubli et que son fidèle public brûle de revoir le groupe sur scène. Mais là, surprise ! Les tenues de cowboy et les Stetson ont été remplacés par des costards noirs et des bérets (Billy préfèrera un chapeau noir qui le fait ressembler à un rabbin ou à un vieux chercheur d’or).
De plus, Billy et Dusty jouent maintenant sur des instruments assortis, fabriqués sur mesure (les guitares Gibson Les Paul et les basses Telecaster valant maintenant trop cher pour être utilisées en concert. Et si Billy joue quelques morceaux sur une Les Paul, il ne s’agit certainement pas de sa fidèle Pearly Gates).
En live, les chansons « She loves my automobile » et « Hi fi Mama » sont illustrées par un petit film montrant les « Lone Wolf Horns » bougeant en rythme tandis que se superpose la bande-son des saxophones. Effet garanti !
Le public exulte et le trio joue à guichets fermés. Pour la première fois, il se produit même en Europe pour trois dates en Allemagne, à l’Hammersmith Odeon de Londres et aussi à… Paris.
Une évidence s’impose : malgré trois ans d’absence, ZZ Top est resté très populaire !
Le Degüello Tour s’étale sur une année, suivi d’une période de repos de six mois pour nos trois Texans. En juillet 1981 sort « El Loco », un album marqué par l’esprit des années 80 naissantes. Les sonorités de guitare de Billy Gibbons sont encore plus claires et enrobées de divers effets (chorus, flanger).
Bien sûr, le Texas rock n’est pas oublié avec « Tube snake boogie » et ses solos endiablés. Une slide entêtante vient chatouiller le titre « I wanna drive you home » tandis que « Ten foot pole » s’inspire du voyage de Billy au Tibet où, selon lui, il aurait aperçu un être bizarre qu’il n’aurait pas aimé toucher avec une canne de trois mètres de long (« I wouldn’t touch it with a ten foot pole »). Le groupe propose aussi une ballade mélodique très réussie avec une steel guitar (« Leila »). « Don’t tease me » tape bien avec un bon solo de six-cordes et la batterie binaire de Franck Beard (qui semble annoncer la volonté du groupe d’enflammer les pistes de danse des boîtes de nuit).
Deux autres morceaux se laissent agréablement écouter : le mélodique « It’s so hard » et le nerveux « Pearl necklace » (à forte connotation sexuelle).
Mais « Groovy little hippie pad » et « Party on the patio » surprennent par leur ambiance très eighties avec des rythmes syncopés et surtout l’apparition de synthétiseurs. Quant à « Heaven, hell or Houston », il ne s’agit que d’une petite plaisanterie musicale qui amuse le trio.
Dans la discographie du Top, « El loco » apparaît donc comme un album de transition qui soulève une question intéressante : les trois musiciens désirent-ils réellement changer leur style ou bien laissent-ils libre cours à leur envie de bidouiller diverses sonorités juste pour rigoler ? En fait, un peu des deux. Les trois lascars ont toujours fait preuve d’une certaine curiosité musicale et, avec « El loco », ils commencent à découvrir les synthétiseurs. Ces drôles de machines les fascinent et ils adorent s’amuser avec. De plus, il ne faut pas oublier que Billy a toujours apprécié la musique de Brian Eno. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il se mette un jour à tripoter un synthé. Dusty, lui aussi, se marre bien avec ces machines et Franck relève le défi de placer ses plans de batterie sur un rythme programmé. En un mot, ils s’amusent.
D’un autre côté, ils aimeraient bien avoir un single d’or. Bien sûr, ils sont très contents de cartonner avec les ventes d’albums mais l’éventualité qu’une de leurs chansons passe en boucle à la radio fait rêver nos Texans.
« El loco » va se vendre très correctement, sans dépasser toutefois le stade de disque d’or. La tournée promotionnelle est un succès, comme toujours, avec encore une fois un passage du groupe en Europe (la Suède, huit dates en Allemagne, Paris et l’Hammersmith Odeon londonien).
Billy et Dusty arborent des barbes encore plus longues ainsi que différentes guitares fabriquées par un luthier qui monte, Wayne Charvel. Billy joue même quelques morceaux sur une guitare miniature, la Chiquita, conçue par le texan Mark Erlewine. C’est d’ailleurs grâce à ce petit instrument de voyage, pratique et aisément transportable, que « Tube snake boogie » a vu le jour.
Les musiciens ont aussi changé de look en s’habillant avec des tenues de parachutistes. Il n’y a pas à dire, ZZ Top s’y entend pour bousculer les habitudes.
Le « El Loco Tour » va emmener le trio jusqu’en janvier 1983, lui laissant quand même un peu de temps libre pour se consacrer à sa passion : la customisation des « hot rods » (ces voitures de course construites sur la base de vieilles bagnoles des années trente). Billy a chopé le virus en 1975 et a converti ses deux potes. Depuis pas mal de temps, le pognon ne fait plus défaut et Billy a investi dans la réalisation d’un terrible engin à partir d’une Ford de 1933. Après cinquante mille dollars de dépenses, le résultat est à la hauteur de ses espérances : une machine incroyablement puissante, rouge vif, avec deux « Z » entrecroisés peints sur chacun de ses flancs. Devant tant de beauté, les trois amis nomment cette petite merveille « Eliminator » (surnom donné à la voiture la plus rapide dans une course).
Entre séances de mécanique, concerts dans des stades pleins à craquer et bringues notoires, la vie pourrait s’écouler doucement dans le meilleur des mondes. Mais Bill Ham va secouer le trio en soulevant un problème de taille. Oui, le dernier album s’est bien vendu et ZZ Top continue de remplir les salles. Cependant, « El loco » a atteint de justesse le titre de disque d’or. Si le trio n’a pas perdu son ancien public, il n’en a pas conquis de nouveau non plus. Non seulement sa popularité stagne mais elle risque bientôt de baisser.
Il faudrait réagir en frappant un grand coup. Ce coup là sera un coup de maître !
L’ALBUM DU SUCCÈS
L’année 1983 est un tournant crucial dans la carrière de ZZ Top avec la sortie d’« Eliminator », un album qui va secouer le monde du Rock.
Au premier abord, ce disque va surprendre, et même décevoir, certains fans du trio. Déjà, la pochette donne le ton. Plus d’imagerie à la gloire du Texas ni de titre en espagnol (bien que Billy Gibbons ait assuré que l’album devait s’intituler au départ « El Iminator ». Ah, toujours cet humour texan !). Juste l’avant d’un hot rod avec un nom qui en impose, « Eliminator ». Mais, après tout, il semble logique que les trois compères aient choisi une voiture comme emblème au vu des titres qu’ils ont déjà composés. (« Chevrolet », « Arrested for driving while blind », « She loves my automobile »). Comme le disait Billy Gibbons au cours d’une interview, « nous avons tout connu en roulant : l’amour, la boisson… et même écrit des chansons en conduisant ! ». Le Rock’n’Roll et les bagnoles ont toujours fait bon ménage et formé un cocktail savoureux et dangereux à la fois. Les ZZ Boys ont donc sauté sur l’occasion de mettre en vedette leur fabuleuse machine. Plus tard, ils préciseront quand même que l’Eliminator datait déjà de quelques années et n’avait pas été construit pour la réalisation de l’album.
Voilà donc un nouveau concept efficace mais aussi surprenant de la part des trois Texans.
Surprenant, le contenu du disque l’est tout autant !
Disparition de la rondeur et de la chaleur de la section rythmique, ajout de divers effets sur la batterie (reverb, écho) et simplification du jeu de Franck Beard. Les amateurs du Top première période en sont pour leur frais. Cependant, il faut reconnaître que ces changements apportent plus d’ampleur et d’agressivité au couple basse/batterie qui cartonne méchamment.
La sonorité de la guitare de Billy Gibbons s’est épaissie et devenue encore plus granuleuse qu’auparavant. Ceci est sans doute dû à la combinaison de divers amplificateurs vintage lors de l’enregistrement (Fender Champ, Marshall 100 watts, Vox Super Beatle, Legend 50). Billy ira même jusqu’à disposer plusieurs amplis différents autour d’un seul micro. Il rajoutera ensuite deux étages d’autres amplificateurs (ceux du haut légèrement orientés vers le bas), formant ainsi une véritable « cabane » (selon les propres termes du trio). Côté guitares, la fidèle Pearly Gates se taille la part du lion, assistée tout de même d’une Dean Z (un curieux hybride entre Explorer et Flying V doté de micros Di Marzio délivrant une saturation énorme, mais un véritable cauchemar pour l’accordage selon Billy) et de deux Fender Esquire (respectivement de 1951 et de 1956).
En résumé, grosse batterie, grosse basse, grosse guitare, gros son (merci aux ingénieurs Terry Manning et Bob Ludwig). Et surtout une flopée de riffs incendiaires et féroces comme Billy n’en a jamais envoyé auparavant. Son jeu de guitare est toujours basé sur le blues mais il balance ses phrasés bluesy à la puissance sonore maximum, survolant le rythme musclé de ses deux complices et investissant quasiment le domaine du Hard Rock. La grosse claque !
Quant aux nouveaux morceaux, ils dépotent gravement pour la plupart.
Tout d’abord, « Gimme all your lovin’ » et son intro de batterie caractéristique.
Le rythme soutenu et entraînant, la guitare de Billy Gibbons et le refrain accrocheur font de ce titre le hit majeur, le premier tube de ZZ Top.
Viennent ensuite le rapide et jouissif « Got me under pressure » (un bon « rocker » qui ouvrira les shows du trio) et « Sharp dressed man » (au solo final à rallonge).
Sans hésitation, on peut qualifier « I need you tonight » de petite merveille de ballade bluesy moderne avec une guitare bourrée d’écho et une véritable démonstration de Billy Gibbons qui fait ressortir les harmoniques de main de maître.
Chanté par Dusty Hill, le rock nerveux « I got the six » tape fort avec un solo bien rock. La fin du refrain est rehaussée d’une forte allusion sexuelle : « I got the six (6), give me your nine (9) ». Pas besoin de parler l’américain pour saisir ce trait d’esprit!
« Legs » ouvre la deuxième face avec un rythme binaire et dansant mais aussi une guitare hurlante. « Thug » fait un peu remplissage tandis que « TV dinners » étonne légèrement en raison de son tempo assez lent et des arrangements choisis. Mais trois autres techno-boogies, rapides et modernes, balancent bien (« Dirty dog », « If I could only flag her down » et « Bad girl »).
Au niveau des arrangements, on note ça et là des bruits bizarres, un fond de clavier crépitant (« Dirty dog »), une ligne de basse exécutée au synthé (« Legs »), un clavier soulignant des couplets (« TV dinners »), quelques cliquetis électroniques. ZZ Top a continué sur la lancée d’ « El loco » en incorporant des synthétiseurs à sa musique, la rendant ainsi plus moderne. Mais tout cela est ajouté discrètement et ne nuit pas à l’ambiance très rock des morceaux. La guitare de Billy Gibbons domine toujours !
Avec « Eliminator », ZZ Top surgit là où on ne l’attend pas avec un style rafraîchi et modernisé mais aussi terriblement efficace. Avec des titres bien construits (même s’ils sonnent de façon similaire), un son énorme et une bonne pincée d’humour, le trio va considérablement élargir son public et même le rajeunir. Un joli coup !
Il existe toutefois une polémique au sujet de cet album. Il semblerait que Dusty Hill et Franck Beard n’aient pas été très présents dans le studio d’enregistrement, se contentant d’assurer leurs parties respectives de basse et de batterie. Le reste du travail aurait été accompli par Billy Gibbons, assisté d’un certain Linden Hudson. En l’absence de Dusty et de Franck, cet ingénieur du son aurait participé à l’élaboration de certains morceaux (« Thug », « Got me under pressure ») en réalisant des démos avec une batterie électronique, un synthé pour la basse et Billy au chant et à la guitare. Il aurait également étudié un grand nombre de chansons à succès, déduisant ainsi que le rythme idéal se situerait autour de cent vingt battements par minute. Bizarrement, pas mal de titres d’« Eliminator » sont basés sur cette séquence rythmique. Encore plus curieusement, le nom de Linden Hudson ne figure pas sur l’album.
Ces rumeurs sembleraient fondées puisque Mr Hudson a empoché six cent mille dollars après cinq années d’une bataille juridique acharnée.
Quoiqu’il en soit, ZZ Top va connaître un succès international avec « Eliminator » qui dépasse les treize millions d’albums vendus (dont dix millions aux USA). Un record ! Cependant, il ne faut pas oublier un élément capital sans lequel ZZ Top n’aurait pas pu franchir les portes des hit-parades.
VIDÉO STARS
Un soir, Franck téléphone successivement à Billy et à Dusty en leur signalant un super concert à la télévision. Après une nuit entière passée devant leurs écrans, les trois amis réalisent que le show n’est pas près de se terminer. Ils viennent de découvrir MTV, la nouvelle chaîne qui diffuse des programmes musicaux sans interruption. Ils trouvent cela très cool et les choses en restent là.
Toujours à l’affût d’un bon coup, Bill Ham leur suggère de réaliser un clip vidéo afin de mieux faire connaître ZZ Top au reste du monde. L’idée séduit les trois copains mais ils souhaitent se démarquer de la tendance générale en n’étant pas les vedettes directes du clip. L’Eliminator sera le personnage central de la vidéo avec, à son bord, trois superbes filles aidant un beau jeune homme dans son combat contre l’adversité. Á l’arrière-plan, les trois Texans surveillent ces aventures d’un œil bienveillant. Cette recette s’avère excellente et le succès est immédiat. Quatre clips (« Gimme all your lovin’ », « Sharp dressed man », « TV dinners » avec son petit monstre sympathique et le dansant « Legs » avec ses guitares tournantes en fourrure) vont propulser ZZ Top au rang de stars internationales.
« Gimme all your lovin’ » se place très confortablement dans les « charts » mais c’est surtout « Legs » qui décroche la timbale, à tel point qu’une version « dance mix » du titre est éditée. ZZ Top est maintenant diffusé dans les discothèques !
En cartonnant sur MTV, le trio s’impose comme le dernier défenseur du Rock face à Madonna, Prince ou Michael Jackson. Largement popularisé par la télévision, il rallie les hard rockers, les fans de rock de tout poil mais aussi les amateurs de musique rythmée et dansante.
Sans aucun doute possible, ces vidéos ont largement contribué à la propagation du virus ZZ Top sur la Terre.
LA « ZZTOPMANIA » : VOITURE DE FOLIE, FILLES DE RÊVE ET RENOMMÉE MONDIALE (1983-1991)
Personne n’y échappe !
ZZ Top est présent partout, à la télé comme à la radio. Désormais, il est de bon ton d’aimer ZZ Top. En fait, ZZ Top est à la mode ! Cela fait bien rire nos trois compères qui n’en espéraient pas tant. Conçus au départ comme des plaisanteries sans prétention, les clips du Top ont déclenché une véritable frénésie dans le monde entier.
Porté par cette vague triomphante, le trio entame une longue tournée internationale couronnée de succès (avec tout de même huit dates en France, c’est dire !). Les spectateurs peuvent admirer la calandre de l’Eliminator en arrière-scène et apprécier en direct les performances des guitares en forme de bagnole ainsi que la courte prestation de Dusty Hill au synthétiseur. Le public assiste même à la chute sans filet d’un roadie ayant glissé de l’échafaudage supportant les projecteurs. Comble de l’humour texan, il ne s’agit fort heureusement que d’un mannequin.
Beaucoup de gens découvrent également pour la première fois la puissance sonore dégagée par le groupe.
Pour ZZ Top, c’est la gloire universelle ! Le trio se produit même au festival de Castle Donington en Angleterre, partageant l’affiche avec Whitesnake et Ronnie James Dio. Paradoxalement, Billy Gibbons n’en garde pas un très bon souvenir (on aurait ordonné au groupe de raccourcir son set et les sonorisateurs auraient légèrement saboté le son du Top pour favoriser la prestation du Serpent Blanc).
Malheureusement, un accident regrettable va entacher cette marche royale. Le 16 décembre 1984, Dusty Hill rentre chez lui et retire ses bottes texanes dont l’une d’entre elles abrite un Derringer (petit pistolet de poche, utilisé autrefois par les joueurs de poker professionnels). Le flingue tombe par terre, le coup part et atteint Dusty à l’abdomen. Après trois heures de chirurgie et quelques jours passés en unité de soins intensifs, le bassiste ressort de l’hôpital encore plus solide qu’avant.
En 1985, ZZ Top est toujours au sommet de sa popularité. Le trio multiplie les interviews pour les magazines musicaux, ses vidéos passent toujours à la télévision et le nombre de ses fans a considérablement augmenté.
Au mois d’août, les trois Texans tiennent le haut de l’affiche du festival de Castle Donington et jouent en vedettes (cette fois, avec un son correct). Juste après, ils s’envolent vers l’Égypte pour quelques vacances bien méritées loin des foules en délire. Mais là, grosse surprise ! Au pied des pyramides, un jeune garçon (le fils du chamelier) les interpelle en hurlant « ZZ Top ! ZZ Top ! » et en brandissant un magazine avec leur photo en couverture. Leur renommée a vraiment atteint l’échelon international.
La firme Gilette propose même à Billy et Dusty un million de dollars s’ils rasent leurs barbes avec un rasoir de la fameuse marque. Les deux amis déclinent poliment cette offre mirobolante en prétextant qu’ils seraient trop moches sans leur pilosité faciale. ZZ Top est vraiment devenu un groupe incontournable mais la flamme du succès doit s’entretenir et il est temps pour le trio de sortir un nouvel album.
Paru à l’automne 1985, « Afterburner » s’inscrit dans la continuité d’«Eliminator » en proposant la même recette musicale.
Il existe une rumeur au sujet de ce disque. Les morceaux auraient été enregistrés bien avant (en fait, fin 1984) mais l’accident de Dusty aurait gravement choqué ses deux potes. Le trio aurait alors décidé de refaire tous les titres, provoquant la panique de leur maison de disques. Cette légende urbaine n’a jamais été confirmée.
La pochette dévoile un Eliminator transformé en fusée gravitant autour de la Terre. Au dos, les visages stylisés des trois musiciens semblent partir à la conquête des espaces intersidéraux (sans doute un message caché).
« Afterburner » cartonne encore plus lourdement que son prédécesseur. Les guitares vintage de Billy Gibbons sont boostées au maximum et, pour certains morceaux, la batterie de Franck Beard a été enregistrée au centre d’un court de squash avec un studio mobile afin d’obtenir plus d’ampleur.
D’entrée de jeu, l’album s’oriente carrément dans une direction commerciale et témoigne de la volonté du Top de sonner comme un « dance band » potentiel (« Sleeping bag » et son intro atroce, « Velcro fly » et ses synthés). Heureusement, le rapide « Stages » rattrape le coup. Et puis, le slow mélodique interplanétaire « Rough boy » fait des ravages avec une guitare saturée enrobée d’écho, une batterie massive pleine de reverb’ et des nappes de claviers discrètes.
Oui, ZZ Top se la joue moderne et commercial mais n’oublie pas non plus ses racines car « Afterburner » comporte également de bons rocks qui déboulent à fond la caisse : « « Woke up with wood » (encore une allusion sexuelle), « Can’t stop rockin’ » (qui parle de lui-même), « Planet of women », « Deeping low in the lap of luxury » (légèrement pompé sur « Gimme all your lovin’ ») et le survolté « Delirious ».
Le disque connaît un succès immédiat et quatre vidéos sont réalisées dans la foulée, toujours avec cet humour décalé qui caractérise nos trois gaillards (« Sleeping bag », « Stages », « Velcro fly » et, bien sûr, « Rough boy »). Le trio entame rapidement une tournée internationale avec un spectacle à couper le souffle (lasers, arrière-scène en forme de tête de pharaon) et encore plus longue que l’Eliminator Tour.
Entre concerts, interviews et apparitions télévisées, les trois Texans tiennent le haut du pavé pendant plusieurs années. En 1988, ils profitent d’une pause bien méritée pour visiter le Delta Blues Museum (dans l’état du Mississippi) et se recueillir sur les ruines de la maison de Muddy Waters. Ils en profitent même pour emporter un large bout de planche en souvenir. De ce morceau de bois légendaire naîtra la fameuse guitare Muddy Wood (avec un dessin rappelant les méandres du Mississippi). Billy en fera cadeau au Delta Blues Museum, à regret car la six-cordes sonnait de façon incroyable.
Les trois copains prennent aussi le temps d’écrire des nouveaux morceaux (dix huit mois !), de se faire construire un local de répétition sur mesure et de restaurer une vieille Cadillac de 1958 (la Cadzilla). Ils passent également six mois en studio d’enregistrement à Memphis.
Finalement, cinq ans séparent « Afterburner » de son successeur.
« Recycler » affiche un nouvel emblème (la fameuse Cadillac) et conserve le son désormais reconnaissable du groupe tout en essayant de retourner aux racines du blues, un blues technologique en quelque sorte.
Bien sûr, les recettes précédentes sont conservées avec des morceaux au tempo médium dans la veine du nouveau ZZ Top (« Concrete and steel », « Lovething », « Penthouse eyes ») et des titres plus rapides qui bougent bien (« Give it up », « Burger man », « Doubleback »).
Tout cela se révèle très efficace. « Penthouse eyes » cartonne tandis que « Tell it » et « Give it up » rappellent le rythme de « Legs ».
« Doubleback » est même choisi pour illustrer la bande originale du film « Retour vers le futur 3 ». Á ce propos, une anecdote amusante doit être relatée. Un jour qu’ils visitent le plateau de tournage, les trois amis sont repérés par le metteur en scène. Ce dernier demande à l’un de ses assistants qui sont ces trois zigotos. Quand il apprend qu’il s’agit des ZZ Top, il leur demande aussitôt de faire une apparition dans le film en tant qu’orchestre de country music.
Mais ça frappe encore plus fort avec « My head’s in Mississippi » (proche de « La Grange ») et « 2000 blues » (un blues moderne dans la lignée de « I need you tonight » avec une superbe guitare). Á eux seuls, ces deux morceaux témoignent de la forme du trio et sauvent « Recycler » de la redite.
Un voyage autour du monde démarre dans la foulée mais la chance va lâcher les ZZ Boys. En 1991, un déséquilibré enlève et tue la femme de Bill Ham. Apprenant la nouvelle juste après les concerts parisiens, les trois musiciens suspendent leur tournée européenne et retournent immédiatement à Houston pour soutenir leur manager.
Ensuite, « Recycler » connaît une chute des ventes (seulement deux millions d’albums aux USA). La presse lui réserve d’ailleurs un accueil mitigé. La formule gagnante élaborée en 1983 a-t-elle lassé le public ? Les nouveaux fans ont-ils été déçus par cette volonté de retourner à une musique plus brute ? Le cocktail rock/gonzesses/bagnole ne séduit-il plus les foules ? Quoiqu’il en soit, « Recycler » ne remporte pas le même succès que ses prédécesseurs et les quelques clips vidéo tirés de l’album n’inverseront pas la tendance. C’était pourtant un disque honnête et agréable à écouter, qui tentait d’une certaine façon de renouer avec le passé musical du trio.
Warner accuse le coup et, histoire de refaire des bénéfices, sortira en 1992 un « Greatest Hits » (avec deux inédits, « Viva Las Vegas » et « Gun love ») qui se vendra relativement bien.
Mais le temps n’est plus au beau fixe. ZZ Top serait-il en perte de vitesse ?
LE DÉCLIN DISCOGRAPHIQUE (1994 à nos jours)
Conscients qu’un changement s’impose, Bill Ham et ses protégés tentent d’inverser la vapeur. Cela commence par un changement de maison de disques. ZZ Top signe chez RCA pour une somme impressionnante (on parle d’un contrat entre trente et quarante millions de dollars), pour la plus grande joie de Dusty Hill dont le rêve était d’enregistrer sur le même label qu’Elvis Presley.
Malheureusement, « Antenna » (paru en 1994) n’est pas l’album du renouveau et se révèle décevant tant il est plombé par des arrangements douteux.
Les disques suivants ne seront pas fameux non plus.
« Rythmeen » (1996) se rapproche légèrement de la sonorité des débuts mais aucun morceau ne se dégage de l’ensemble (à part peut-être « Vincent Price blues »). Cet album marque d’ailleurs la dernière participation de Bill Ham à la production.
En 1999, « XXX » fête les trente ans de carrière du trio et les fans s’attendent à un miracle mais la déception est de nouveau au rendez-vous. ZZ Top tourne aux USA avec Lynyrd Skynyrd (c’est sans doute ainsi que naîtra l’amitié entre Billy Gibbons et Rickey Medlocke). « Mescalero » (2003) ne relèvera pas davantage le niveau.
Il faut attendre 2012 et « La Futura » pour entrevoir un semblant de retour aux origines. Ce disque bénéficie de la production de Rick Rubin (que Billy Gibbons connaît depuis une vingtaine d’années) et rappelle un peu le Top des années 70 avec des titres comme « « I gotsa get paid », « Chartreuse » ou « Heartache in blue ». Cependant, cette réalisation n’offre pas de réel coup de génie.
Alors, ZZ n’est plus au Top ?
Si le jeu de mots semble facile, cette question n’en demeure pas moins pertinente.
Depuis vingt cinq ans, on attend que ZZ Top revienne au boogie-blues et sorte un album digne de ce nom qui ne génère pas l’ennui. Depuis « Antenna », un manque de rigueur dans les compositions se fait amèrement ressentir.
Il est certain qu’après avoir donné naissance à de nombreux morceaux d’anthologie au cours de sa carrière, il devient difficile pour le groupe de se renouveler. De plus, on dirait que les trois Texans s’amusent à faire des expériences musicales ou à enregistrer des bouts d’essai. Et ce n’est pas le dernier album solo de Billy Gibbons qui contredira cette impression.
Là, on ouvre l’éternel débat de la liberté artistique : un groupe doit-il enregistrer ce qui lui fait plaisir ou jouer ce que les fans veulent entendre ?
N’ayant plus rien à prouver, les mecs de ZZ Top peuvent se permettre d’expérimenter d’autres approches mélodiques même si cela déplaît à leurs admirateurs.
Cependant, un détail ne trompe pas : à de rares exceptions près, le trio ne joue pratiquement que ses anciens hits lors de ses shows et les spectateurs continuent de se bousculer pour l’applaudir sur scène.
ZZ TOP LIVE
Il faut avoir vu ZZ Top en concert au moins une fois dans sa vie car c’est une expérience renversante. Les Américains les plus chanceux se souviennent avec nostalgie du Worldwide Texas Tour. Les Européens se rappellent avec bonheur la première apparition du Top sur le vieux continent à l’aube des années 80, le triomphal Eliminator Tour de 1983 ou les tournées promotionnelles d’« Afterburner » et de « Recycler ». Et même bien plus tard, les shows de ZZ Top restent uniques en leur genre.
Quel est donc le point commun qui relie les prestations scéniques du trio à travers les décennies ?
Bien sûr, on peut évoquer les superbes jeux de lumières ou les décors exceptionnels. Mais, en fait, il s’agit surtout du son. Un son énorme et puissant qui soutient les trois musiciens dans leur interprétation simple et directe de leurs meilleurs titres. Face à une efficacité aussi redoutable, le spectateur reste complètement sonné comme si un taureau d’Amarillo lui avait expédié un coup de tête.
Pendant très longtemps, seule la face live de « Fandango » permettait de se rendre compte de l’intensité du trio sur scène. Puis, un enregistrement pirate réalisé en 1980 a circulé sous le manteau (le fameux « Live at Paissaic », rebaptisé ensuite « Fuego a El Paso »). Les rares chanceux qui possédaient un magnétoscope à l’époque ont pu enregistrer le premier passage de ZZ Top en France lors de l’émission Chorus. Quelques années plus tard, les amateurs qui connaissaient un bon disquaire ont pu se procurer à prix d’or « Goodlegs » (correspondant au concert allemand du Rockpalast de 1980) et « Rocking the castle » (enregistré au Festival Castle Donington en 1985). Par la suite, une vidéo pirate du Rockpalast 1980 a fait la fortune de quelques revendeurs rusés.
Et c’est à peu près tout ce que l’on pouvait trouver sur ZZ Top dans les années 80, bien que le groupe fût au sommet de sa gloire. Á l’époque, il n’était pas facile de dénicher un « bootleg » du trio. Cela se méritait !
De nos jours, ces divers enregistrements sont disponibles en toute légalité dans tous les points de vente dignes de ce nom. De plus, ZZ Top a sorti en 2008 « Live from Texas », considéré comme son premier live officiel. Il a continué sur sa lancée en réalisant récemment une compilation de titres enregistrés en public aux quatre coins du globe.
Pour finir, on peut même trouver sur internet des shows datant de 1971 et 1972 qui valent le détour.
Oui, ZZ Top en concert, c’est quelque chose ! Et les fans se pressent toujours pour applaudir le trio sur scène, signe que sa renommée reste intacte.
UNE POPULARITÉ TOUJOURS D’ACTUALITÉ
Depuis plus de trente ans, les trois Texans conservent leur statut de vedettes internationales, comme le démontrent quelques faits marquants.
En 1989, ZZ Top est invité à jouer lors de la chute du Mur de Berlin mais ne peut s’y rendre car il a déjà contracté d’autres engagements. En 1993, le trio participe à la célébration des quatre vingt dix ans de la mythique firme Harley-Davidson et en profite pour exposer ses créations mécaniques (la Cadzilla ainsi qu’une moto surnommée Hogzilla). En 2004, les trois musiciens sont admis au célèbre Rock N’ Roll Hall Of Fame avec Keith Richards qui se charge du discours officiel (à cette occasion, ils joueront « La Grange » et « Tush »).
Une journée ZZ Top a même été instaurée au Texas.
Les concerts affichent complet et le trio récolte toujours un franc succès.
Même si la qualité de sa production discographique a considérablement baissé depuis 1994, ZZ Top continue de vendre d’innombrables « Best of » et autres « Greatest hits », générant ainsi d’importants revenus. Á ce jour, le trio a vendu plus de cinquante millions d’albums. Et ne parlons pas des royalties qui tombent à chaque morceau diffusé à la radio ou à la télévision.
Les membres de ZZ Top sont millionnaires et connaissent une énorme célébrité.
Billy Gibbons a fait construire un entrepôt géant à Houston où il entasse des centaines de guitares, des voitures de rêve ainsi qu’une impressionnante collection d’objets d’art africain. Il possède aussi une villa à Hollywood. Il a participé à de nombreux projets musicaux avec d’autres artistes (entre autres BB King, le légendaire guitariste Les Paul, Hank Williams III). Il a même composé un titre pour son idole Johnny Cash (« I witnessed a crime ») sur lequel il joue de la guitare. Il est également apparu plusieurs fois dans la série télé « Bones ». De plus, il a conçu deux guitares sur mesure pour Keith Richards et Ron Wood.
Frank Beard joue au golf entre deux shows et entasse toutes ses batteries dans son immense villa.
Dusty Hill a fait surtout parler de lui pour ses accidents et ses problèmes de santé au fil des années (blessure par balle en 1984, hépatite C en 2000, chute dans le bus de la tournée en 2014). Il apprécie toujours ses bringues mexicaines qui lui coûtent un maximum de pognon. Son allure de chercheur d’or lui a même valu un petit rôle dans la série western « Deadwood ». Il continue d’affirmer qu’à sa mort, il ne veut pas être enterré dans un cercueil mais dans son flight case de basse.
AUTOPSIE D’UN SUCCÈS MONDIAL
On peut donc se poser une question légitime: qui ne connaît pas ZZ Top ?
Qu’on l’apprécie ou qu’on le déteste, ZZ Top est incontournable et restera pour toujours un monument du Rock’n’Roll. Chaque soir, de par le monde, sur la scène d’une petite salle ou dans un bar paumé, un groupe local reprend un ou plusieurs titres de ZZ Top pour chauffer l’ambiance. Les trois Texans sont célèbres sur la Terre entière.
Ce trio incomparable a su toucher un public international avec sa musique directe, basée sur le rock et le blues, et surtout la simplicité de ses chansons. Si l’on fait abstraction des références au Texas, ZZ Top a chanté la vie de tous les jours en abordant des thèmes universels auxquels chacun peut s’identifier (la paye du vendredi soir, les bringues mémorables entre potes, les virées en bagnole, la recherche désespérée d’une fille).
Oui, le Texas nous fait rêver tout en sachant que, pour la plupart, nous n’y mettrons jamais les pieds. Pour le reste, pas besoin d’être Texan pour s’approprier les idées développées par le Top.
D’autres courants musicaux nous dépaysent également avec bonheur mais proposent certaines images difficilement transposables ailleurs qu’aux USA. La « country music » pleure les grands espaces et les chevaux sauvages tandis que le « Southern rock » véhicule des thèmes essentiellement américains (la Guerre de Sécession, les chasseurs de primes, les flingues, les bécanes Harley, les tueurs à gages).
Avec ZZ Top, pas de problème. Dans n’importe quel pays, un type peut porter un ceinturon à large boucle et des bottes, se laisser pousser la barbe, se trimballer dans une vieille bagnole rouillée et se prendre pour un Texan pur jus au final. C’est simple et sympa ! Comme la musique des trois compères. Ce mélange subtil de blues et de rock joué à fort volume qui ravit aussi bien les rockers et les amateurs de blues que les mordus de « heavy metal ».
Souhaitons donc que ce trio mythique continue de monter sur scène pour jouer son merveilleux boogie-blues et qu’il sillonne la planète encore longtemps.
Et, bien entendu, toujours avec cette touche texane si particulière car…
Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, ZZ Top nous ramène toujours au Texas.
WAITIN’ IN THE DESERT (EPILOGUE)
La vitre de la portière avant se baissa doucement et laissa apparaître un étrange personnage au visage couvert d’une barbe aussi longue que le Mississippi. Coiffé d’un chapeau à larges bords, le regard dissimulé par des lunettes de soleil bon marché, il souriait de toutes ses dents. Á côté de lui, impassible, se tenait sans aucun doute son frère jumeau, barbu lui aussi et fringué de la même façon.
Légèrement surpris au départ, Jeff fut rassuré en entendant le conducteur s’exprimer avec ce cher accent du Texas.
« Salut, mon gars ! T’attends le bus, pas vrai ? On t’aurait bien embarqué mais là, on est au complet ! ».
Jeff se pencha et aperçut sur la banquette arrière un troisième type moustachu et trois filles superbes. Le personnage énigmatique parla à nouveau.
« Je t’aurai bien proposé le coffre mais il est plein aussi. Des guitares, une batterie, deux caisses de bières et quelques bouteilles de tequila. On va faire une fiesta d’enfer dans un bled à vingt bornes d’El Paso. La Cantina Del Diablo, qu’ils appellent ça ! Si jamais tu passes dans le coin, viens nous voir. Tu vas pas t’ennuyer, tu sais. Là-bas, t’auras qu’à demander El Loco, les gens te renseigneront. T’en fais pas, on a dépassé le bus ce matin. Il va bientôt venir par ici. T’en as plus que pour quatre ou cinq heures d’attente. Bon, c’est pas tout ça mais on a encore de la route. Hasta la vista ! ».
La voiture infernale s’ébranla dans un rugissement de moteur et disparut dans une tornade de poussière.
Jeff rabattit son Stetson sur ses yeux en soufflant longuement. Quatre ou cinq heures d’attente ! Ah, ce sacré humour texan ! Heureusement qu’il ne craignait pas la solitude. Enfin, la solitude… Les paroles de son grand-père lui revinrent soudainement en mémoire. « Fiston, dans le désert du Texas, tu ne t’ennuieras jamais ! Les vautours viendront te saluer la journée, les coyotes te souhaiteront bonne nuit et les fourmis rouges te tiendront compagnie ! ».
Jeff repensa aux bières bien fraîches, au juke-box du vieux Sam et à la poitrine généreuse de Wanda Tucker. Ce bon vieux vendredi soir ! Et puis, cette fois, il allait peut-être changer ses habitudes et pousser du côté d’El Paso. D’après l’homme mystérieux, ça avait l’air chouette.
Jeff sourit. Il verrait bien. Il avait le temps de se décider en attendant ce satané bus qui allait bien finir par se pointer un jour ou l’autre.
Olivier Aubry
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